Tous les Moissagais savent bien que la période estivale débute à Moissac avec les traditionnelles fêtes de Pentecôte. Celles-ci se déroulent pendant trois journées sur les bords du Tarn et sont jalonnées par plusieurs temps forts : la plantation du Mai, la distribution du pain béni, le couronnement de la Rosière et la bénédiction des eaux. Mais connaissez vous l’origine de toutes ces traditions ? Partez avec nous à la découverte de ce qui a fait et fait encore l’histoire de notre cité uvale, du Moyen-Age à nos jours !
Au commencement : un port et des marins
Une chose est certaine : les fêtes de Pentecôte telles que nous les connaissons n’existeraient pas sans les marins de Moissac. Ce n’est pas simplement parce qu’ils sont les animateurs de ces festivités, c’est surtout qu’ils en sont les créateurs. Pour comprendre pourquoi, il faut remonter à la fin du Moyen-Âge. En effet, à cette période, et aussi surprenant que cela puisse paraître pour une ville située aussi loin du littoral, Moissac était une ville portuaire. Surnommé « l’entrepôt de la Guyenne » au XVIème siècle, il s’agissait principalement d’un port de transit pour le grain venant de la Moyenne Garonne à destination du Bordelais.
Jules Mommeja, membre de la société historique et archéologique du Tarn-et-Garonne, raconte en 1920 : « Ce port était le cœur vivant de la cité moissagaise. Autour, les grandes maisons des négociants ; plus loin, les cahutes des marins. Sur la rive, s’amoncelaient les sacs de farine et de grains ; là se traitaient les affaires, là étaient les grandes auberges ; là débarquaient les marins étrangers contant récits et nouvelles… ». D’après Pierre Deffontaines, le port de Moissac devint même « le plus important port minotier du secteur au XVIIème siècle ». Avec la demande croissante de grains des colonies royales des Antilles, du Canada et de l’Angleterre, le port connait un véritable essor et obtient le monopole du commerce des grains et de la fabrication des farines dans le bassin du Tarn et dans une grande partir du bassin de la Garonne. Il exporte également, bien entendu, des fruits ! En plus de son grenier à céréales, il devient aussi un entrepôt pour le poisson de mer conservé par salaison et le sel qui remontent la Garonne et ses affluents. Pour donner un ordre d’idée, on recense, en 1802, pas moins de 147 embarcations à Moissac. Ces gabares (bateau d’une dizaine de mètres à fond plat) embarquaient jusqu’à 8 hommes d’équipage. Une communauté très active de marins était regroupée en corporation. Celle-ci portait, dès la fin du XVème siècle, le nom de « Companha de Sancta Katharina », en référence à leur sainte patronne Sainte Catherine d’Alexandrie. Elle changera de nom en 1889 pour devenir « la Société de secours mutuels des marins de Moissac » avant de se transformer en « Association des marins de Moissac ».
Les fêtes de Pentecôte étaient pour eux le moyen d’alimenter leur caisse de secours, d’aide et d’appui mutuel pour leurs actions de bienfaisance à destination des anciens marins et des familles de marins disparus. Le dernier marin faisant service entre Moissac et Bordeaux, Monsieur Jean Gleyse dit « Tribord » est décédé en 1932. Aujourd’hui, l’association, présidée par Mickaël Lanoë, réside toujours dans son local du 6 rue de la Régie au sein du quartier du vieux port. Elle est la digne héritière d’une longue histoire de confrérie de marins et ses membres se considèrent comme des « gardiens de mémoire ». En dehors des fêtes de Pentecôte, les marins participent à plusieurs autres manifestations : fête des fruits et des saveurs, buvettes, vide-greniers, bourse au jouet, etc. L’association compte 32 adhérents « grands marins » (dont quelques femmes depuis peu de temps) et 40 « petits marins » qui sont les enfants. L’association a pour projet d’acquérir un bateau pour retrouver sa vocation d’origine et éviter d’avoir à chercher chaque année un bateau à louer pour transporter les autorités pendant les fêtes de Pentecôte. Souhaitons leur tout le succès possible dans cette quête !
Déroulement des festivités
Le samedi : la plantation du mai
Tout commence le samedi avec la plantation de l’arbre (souvent un chêne), appelé le Mai.* A l’origine, toute la ville était réveillée, avant le lever du soleil, par les fifres et les tambours du cortège chargés d’amener le Mai jusqu’au port. D’après l’historien moissagais Adrien Lagrèze-Fossat : « tous les habitants attendaient le Mai aux portes de la ville : ils l’entouraient, se paraient de son feuillage, et l’accompagnaient en dansant des farandoles jusqu’au lieu où il devait être planté. Des jeunes filles suspendaient à ses rameaux des couronnes et des guirlandes de fleurs ». Aujourd’hui, les marins n’osent plus réveiller les habitants aux aurores : le cortège ne part qu’en fin d’après-midi, à 17h30, depuis le parking de Casino pour traverser la ville jusqu’au quai du vieux port. La plantation se déroule à 18h30. Si le Mai était dressé, à l’époque, à la force des bras des hommes (« le peuple dressait le Mai en tirant sur des cordes »), il a ensuite été dressé à la force des bœufs. Aujourd’hui, il est hissé grâce à la force mécanique d’un tracteur. Les marins assurent simplement à la force de leurs bras la trajectoire de la montée. La soirée se prolonge ensuite par des animations musicales proposées par le comité des fêtes de la ville. On ignore l’origine véritable de cette tradition mais il est très vraisemblable qu’elle soit, comme dans beaucoup d’autres endroits d’Europe, une façon de célébrer le retour de la vigueur de la végétation. D’autres y voient la trace de coutumes ancestrales et de rites de fertilités. D’autres enfin voient dans le choix du chêne un rappel de la construction des gabares faites de ce même bois.
* Ce n’est pas tout à fait vrai. D’après certaines sources, il semblerait que les festivités commençaient dès le vendredi soir avec « des sérénades données aux fonctionnaires municipaux » (« La Tradition », 1902, de Paul de Beaurepaire-Froment). Mais ceci est une autre histoire …
Le dimanche : la distribution du pain béni ...
Originellement, le dimanche était principalement consacré à des exercices religieux. Aujourd’hui, la matinée est rythmée par la distribution du pain béni par les marins. Ce pain à l’anis est pétri et cuit dans les boulangeries moissagaises. Il n’est pas vendu : chacun donne ce qu’il souhaite pour participer à la fête. Il est d’ailleurs inutile de préciser « que tout Moissagais bien né tient à manger son morceau de pain béni ce jour-là », selon Marguerite Vidal, conservateur honoraire des musées de Moissac. Pourquoi du pain à l’anis ? Parce que l’anis est la graine qui se conserve le mieux, à l’époque les grains étaient stockés par les marins dans leur local. Le pain est ensuite béni par le curé avant d’être déposé sur des remorques pour la vente. A 8h30, les marins commencent leurs tournées : une remorque tractée par des animaux fait le tour du centre-ville, et remorques sur des tracteurs font le tour des quartiers Saint Benoît et du Sarlac. Dans l’après-midi, place au cortège puis au couronnement de la Rosière. La soirée est à nouveau animée par un concert proposé par le comité des fêtes.
... et le couronnement de la Rosière
Les premières traces d’une élection de Rosière en France remontent au tout début du Moyen-âge. Ce serait l’évêque de Noyon, un certain Saint Médard, qui aurait eu cette idée d’attribuer chaque année une somme de 25 livres et une couronne de roses à la fille jouissant de la plus grande réputation de vertu dans sa commune de Salency (Oise). Il commença en l’an 525 en désignant sa propre sœur. D’après le docteur Moles, premier adjoint du Maire de Moissac en 1928 à qui l’on doit ces informations, cette jeune fille devait être irréprochable, mais « son père, sa mère, ses frères et sœurs et autres parents en remontant jusqu’à la quatrième génération, devaient l’être également ». A Moissac, on trouve trace de l’établissement d’un prix de vertu tiré de l’exemple de Salency juste avant la Révolution. En 1787, c’est le premier consul de Moissac de l’époque, Monsieur Gouges-Cartou, qui lança l’idée de sélectionner deux personnes, un jeune homme et une jeune fille, « pris dans la classe inférieure du peuple pour les inviter à s’unir entre eux ». Il s’engageait à verser, sur sa cassette personnelle et pour le restant de ses jours, une somme de 100 livres à chacun de ces mariages. Un peu plus tard, sous l’Empire, en 1809, on trouve trace du couronnement d’une Rosière pour une somme de 600 francs, majorée de 600 francs par l’Empereur lui-même si la jeune fille se mariait à un militaire retiré du service. Mais ce n’est que par le testament de Dominique Claverie, horloger moissagais devenu assez fortuné, que cette tradition est mise au goût du jour pour prendre sa forme actuelle et se greffer aux fêtes de Pentecôte à la toute fin du XIXème siècle. Ainsi, la toute première Rosière de l’ère Claverie, Pauline Gardy, est élue en 1899. Selon le testament, la ville de Moissac doit organiser chaque année l’élection et le couronnement de « la jeune fille la plus vertueuse et la plus digne d’intérêt de l’arrondissement ». Elle reçoit une somme d’argent et une médaille commémorative offerte par la commune. Elle est couronnée, toute vêtue de blanc, d’une couronne composée des trois fleurs les plus répandues dans les champs : « la violette, symbole de la vertu simple et solitaire, la rose blanche des haies, symbole de l’innocence et le bleuet, symbole de la fidélité et de l’espérance ». Elle doit ensuite remettre au plus ancien cultivateur de la paroisse un épi de blé et un pampre de vigne avant de faire le tour de la ville avec le Maire puis d’être ramenée « chez sa mère ». Aujourd’hui, le tour de ville précède le couronnement : la Rosière et le Maire partent de l’hôtel de ville avec le cortège en direction de l’Uvarium où se déroule le couronnement. C’est le comité des fêtes de la ville qui prend ensuite en charge la Rosière pour participer aux rendez-vous nationaux.
Le lundi : la bénédiction des eaux
Traditionnellement, c’est le lundi qui est la journée la plus festive. Elle débute le matin par la procession des marins jusqu’à l’abbatiale Saint-Pierre où la messe est ensuite célébrée en leur honneur. Dans l’après-midi, c’est l’heure tant attendue de la procession sur l’eau. Si l’on en revient aux sources, d’après Emile Pouvillon (dans « Terre d’Oc », 1908) : « une gabare pavoisée vient chercher en grande pompe le clergé qui l’attend sur le seuil de la chapelle Sainte Catherine. Il y a une grande affluence de peuple sur les quais : des bérets de Gascogne et des chapeaux clabauds à la mode du Quercy, des riverains cossus, des fermières en atours du dimanche ». C’est toujours le cas : au départ de l’embarcadère du canal (au pied de l’église Sainte Catherine), la péniche transportant les autorités (le clergé, le Maire, la Rosière et le président des marins) remonte le canal pour retrouver le Tarn au niveau de l’Uvarium. Elle rejoint sur la rivière toute une flotte qui l’attend pour procéder à la bénédiction des eaux. Historiquement, le clergé bénissait le Tarn pour rendre ses eaux favorables et écarter du fleuve les accidents et les noyades. D’après Paul de Beaurepaire-Froment, cette bénédiction chrétienne était l’héritière d’une cérémonie païenne au cours de laquelle on invoquait le dieu du fleuve afin de protéger les hommes qui l’honoraient. Emile Pouvillon va dans ce sens en écrivant : « à la pompe catholique s’associait je ne sais quelle ardeur païenne, écho des rites d’autrefois ». Mais en 1961, la bénédiction des eaux a été abandonnée. Certains évoquent un différend entre le clergé et l’administration municipale de l’époque. D’autres parlent d’un abandon unilatéral de la part du clergé qui n’y voyait plus de valeur religieuse. Mais, grâce à la bonne entente retrouvée entre toutes les institutions moissagaises, la bénédiction des eaux est de retour depuis 2023. En plus de cette bénédiction, le Maire, le président de l’association des marins et la Rosière lancent une gerbe dans le Tarn depuis leur péniche en mémoire des marins disparus et des victimes de l’inondation de 1930. Une autre vieille coutume est de retour à Moissac depuis l’an dernier : la procession de la relique de Saint-Cyprien avec pour objectif d’éviter la sécheresse. Autrefois, le crâne du saint était plongé dans le Tarn pour déclencher la pluie. Aujourd’hui on préserve la relique en l’emmenant sur la péniche avec le clergé mais sans l’immerger.
Quel était l’air favori des musiciens pendant les fêtes de Pentecôte ? D’après les sources que nous avons pu consulter, il semblerait que la « Marcho des Reys » (ou « Marche du Turenne ») fut régulièrement jouée au cours des processions et cortèges.
Si les fêtes de Pentecôte ont conservé leur esprit traditionnel, il n’en est pas forcément de même pour les animations populaires. Celles-ci suivent davantage les modes du temps et certains ont pu fortement déplaire aux plus anciens. Ainsi, en 1928, le journal « La Croix du Tarn-et-Garonne » déplore l’arrivée dans les fêtes du Charleston, « la danse des gens atteints de folie ou d’épilepsie (…), aux trémoussements aussi inélégants qu’antihygiéniques ».
En 1921, la ville a célébré pas moins de six Rosières en même temps ! Pourquoi ? Parce qu’il fallait rattraper le retard accumulé pendant la grande guerre.
Animations disparues
Une activité particulièrement marquante a malheureusement complètement disparu : le tournoi de tir au Papagai. Il s’agissait d’un concours de tir à l’arc (ou à l’arbalète) dans lequel on faisait chuter une réplique en bois d’un perroquet attachée au sommet d’un haut mat. Cette tradition remonte à la guerre de Cent ans, au cours de laquelle le roi Charles V a souhaité que son peuple s’entraîne davantage au tir à l’arc pour contrer la supériorité anglaise dans ce domaine. Ce tournoi était suivi d’une quête organisée par les seigneurs au profit des pauvres. Cette troisième journée du lundi se terminait, en même temps que les fêtes, par un grand banquet au cours duquel tout le monde dansait : « tous les rangs étaient confondus ; les seigneurs ne dédaignaient pas d’ouvrir le bal avec les femmes des mariniers » (Lagrèze-Fossat). En soirée, « la promenade était illuminée de lanternes vénitiennes. Une ancre de feu était à chaque bout de la promenade. Sur la foule, amollie par l’harmonie musicale, flottait cette senteur troublante faite de l’odeur légère des cigarettes et des parfums de femmes » (Paul de Beaurepaire-Froment). Pour Emile Pouvillon : « c’était une chose très moissagaise, cet hymne ingénu à la beauté, cette contagion d’amour qui flottait sur l’environnement de la fête ». Tout au long de la fête, en plus des chants et de danses on notera, d’après Paul de Beaurepaire-Froment, de très nombreuses animations, aussi bien sur terre que sur l’eau : « A terre, mât de cocagne, tourniquet, jeu de la cruche, baraques foraines de toutes sortes. Sur l’eau, joutes, mât incliné glissant, poursuite à la nage de canards, courses aux avirons et à la godille ». Aujourd’hui, toutes ces animations ont disparu. Reste la fête foraine installée, du vendredi soir au lundi soir sur l’avenue de l’Uvarium. Ces trois jours de fêtes se terminent, le lundi soir, par un splendide feu d’artifice sonorisé tiré sur le Tarn depuis l’île de Beaucaire. Tous les évènements (plantation du Mai, processions, couronnement de la Rosière, bénédiction des eaux, feu d’artifice …) sont gratuits et ouverts à tous. Cette année, rendez-vous les 18, 19 et 20 mai pour vivre ces fêtes issues, d’après le journal « La Croix de Tarn-et-Garonne », d’une époque « où la fraternité existait réellement dans les rapports corporatifs, politiques et sociaux ».
Pour conclure
Pour conclure, nous citerons une nouvelle fois Lagrèze-Fossat : « Ainsi se passaient les Fêtes de la Pentecôte. N’en devons nous pas conclure que nos pères étaient sages et plus gais que nous ? Ils s’amusaient bien, étaient ardents au plaisir ; mais ils n’oubliaient jamais dans leurs réjouissances la part de Dieu et de leurs semblables malheureux ».
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