Ce dimanche matin sur l’esplanade du Moulin, la ville de Moissac a rendu un hommage aux Justes, à l’occasion d’une cérémonie organisée en présence notamment de Paul-Alain Altar dit Alter, enfant juif de Roumanie.
Discours de Monsieur Romain Lopez, Maire de Moissac
Journée Nationale à la mémoire des Victimes des crimes racistes et antisémites de l’Etat français et d’hommages aux Justes de France – 18 juillet 2021
« Heureux comme Dieu en France », disait un proverbe yiddish. « Heureux comme Dieu à Moissac » aurait certainement pu dire les descendants d’ashkénazes qui percevaient la France comme la terre de l’émancipation, apportant sécurité et dignité depuis des siècles aux diasporas hébraïques d’Europe de l’est, aux juifs de Provence, aux ashkénazes du nord de la France et aux sépharades des territoires français d’Afrique du Nord.
Alors que notre patrie perdait progressivement sa liberté, jusqu’à être incapable d’extirper des mitraillettes de l’Occupant ses enfants israélites qui avaient versé leur sang pour elle dans les tranchées de 14-18, Moissac, petite cité uvale façonnée d’une âme pudique si typique de son identité catholique rurale, était devenue ce havre de paix, de quiétude et d’insouciance pour près de 500 enfants juifs logés dans la Maison de Moissac.
L’un d’entre eux, enfant juif de Roumanie, Paul-Alain Alter dit Altar, nous fait l’honneur de sa présence ce jour. C’est un patriote sincère et engagé dans la défense de la France à laquelle il voue une reconnaissance éternelle pour ce qu’elle lui a donné, à savoir le droit de vivre, de fonder une famille et d’observer avec fierté l’engagement d’un de ses petits-fils devenu Conseiller régional d’Occitanie. Sa présence est le témoignage vivant de la bravoure des Moissagais, une bravoure injustement ignorée de nos jours.
Après tout, il était si naturel de sauver des enfants juifs : à leurs yeux, ce geste ne méritait pas que l’on en fasse état. Pourtant, cet acte collectif qui devrait paraître si banal, ne le fut pas dans une période où les camps d’extermination étaient la destination finale de millions de juifs en Europe. Ce silence, complice du bien, permis aux éclaireurs israélites de France d’empêcher la déportation de la totalité des enfants. Dix éclaireurs furent reconnus Justes mais sans le discret appui des Moissagais, sans ce mutisme des plus résistants, rien n’aurait été possible.
Ce ne sont pas des individus mais bien une population qui sauva la vie de ces enfants : la désignation de Moissac en tant que troisième ville au monde reconnue comme « Juste parmi les Nations » apparaitrait si légitime. Alors que 25% des juifs de France périrent durant la seconde guerre mondiale, que ces terribles statistiques culminèrent à 75% en Hollande et jusqu’à 90% dans les pays baltes et en Pologne, le pourcentage de juifs moissagais assassinés pendant la guerre est de 5% (un des taux les plus faibles de France). Et ce, malgré la promulgation du statut des Juifs par Vichy et l’Occupation allemande à partir de 1943 à laquelle les Moissagais répondirent en cachant avec efficacité et courage les jeunes éclaireurs israélites. La bienveillance des catholiques, à l’image de Monseigneur Théas, évèque de Montauban, et des conservateurs dont certains avaient intégré des fonctions locales importantes au sein de l’Etat français, tel qu’illustré par l’historien moissagais François Boulet dans son ouvrage « Moissac 1939-1945 », ont aussi aidé les éclaireurs dans leur combat.
La mémoire de cette belle histoire moissagaise doit revivre loin des passions, loin des récupérations politiciennes, car, comme l’ont justement rappelé mes prédécesseurs messieurs Nunzi et Henryot dans leur préface au livre de François Boulet, en citant l’évêque Théas : « Il n’est pas facile d’y voir clair dans cette période à la fois proche et lointaine, d’élucider des engagements et des actes en apparence contradictoires où les pires atrocités voisinent avec d’immenses générosités. »
La ville de Moissac s’appliquera à la faire vivre et participera activement aux futurs évènements qui seront organisés autour de cette page enchantée malheureusement perdue dans le chapitre le plus sombre de l’histoire humaine.