A la découverte du fascinant « Légendier de Moissac »

A l’occasion de la sortie du livre « Le légendier de Moissac et la culture hagiographique méridionale autour de l’An Mil », intéressons-nous au travail d’écriture réalisé par les moines de l’abbaye à la grande époque du scriptorium.

Sans doute depuis ses très anciennes origines, mais au moins dès le Xe siècle, l’abbaye Saint-Pierre de Moissac possédait une bibliothèque. En effet, certains de ses moines bénédictins s’affairaient plusieurs heures par jour à recopier à la main, munis de plumes taillées, des livres manuscrits venus d’autres monastères. A partir du milieu du XIe siècle et de l’entrée de Moissac dans le groupe de monastères dirigé par l’abbaye de Cluny en Bourgogne, l’activité des copistes s’intensifia. La Bibliothèque Nationale de France, à Paris, conserve près de 150 des manuscrits confectionnés à Saint-Pierre de Moissac entre environ 1050 et 1150. Ces ouvrages sont souvent ornés de peintures qu’on nomme « enluminures », quelques-unes sont des chefs-d’œuvre de l’art roman (comme les sculptures du portail et du cloître). La majorité des livres sont évidemment des textes religieux mais il y a aussi des traités scientifiques et des livres d' »histoire ». Certains manuscrits conservés sont très rares : la collection moissagaise compte une des dix seules copies connues de « La guerre des Gaules » de César, ce général romain qui a conquis notre pays. Par chance, la bibliothèque moissagaise médiévale n’a pas été détruite, comme c’est le cas pour de nombreuses autres bibliothèques. Le ministre de Louis XIV, Colbert, a fait transporter ce trésor de manuscrits vers Paris, en 1678, avant que les rats ne finissent leur travail de destruction.

Si, comme nous l’avons dit, les moines scribes travaillèrent beaucoup après 1050, le « légendier » est la preuve que Moissac était déjà un centre de culture important aux alentours de l’an mil. Un « légendier » chrétien est un recueil contenant les récits de la vie, du martyre subi, des miracles accomplis par des personnages saints depuis les origines du christianisme. Le « légendier » constitué à Moissac (en deux tomes, dont l’un est incomplet) est le plus ancien légendier du sud de la France.

En 2014, l’université de Toulouse organisait, à l’initiative de l’enseignant- chercheur en histoire Fernand Peloux, un colloque réunissant une vingtaine de spécialistes, dont Chantal Fraïsse, la directrice du Centre d’art roman moissagais, pour mieux connaître (et faire connaître) le célèbre « légendier » de Moissac. Les actes de ce colloque (communications mises par écrit) viennent de paraître sous le titre : Le légendier de Moissac et la culture hagiographique méridionale autour de l’An Mil. Ce gros ouvrage permet de mieux comprendre comment a été constitué ce recueil : combien de scribes ont travaillé pendant les trois années environ qui ont été nécessaires pour réaliser notre manuscrit (546 pages pour le tome complet). Par qui les enlumineurs furent-ils inspirés ? Dans quel contexte historique ce travail fut-il mené à bien ? Les travaux des spécialistes d’hagiographie (étude des récits de vie de saints) ont bien mis en lumière le grand intérêt et la richesse de cette collection qui a, selon Fernand Peloux, largement fondé la mémoire hagiographique des terres méridionales (et davantage). Il y a des saints très connus : Martin, le légionnaire qui a partagé son manteau avec un pauvre, Augustin l’auteur-philosophe chrétien, Cyprien l’évêque qui deviendrait patron de Moissac ; il y a des saints locaux : Saturnin (devenu Sernin) évêque martyr de Toulouse, Foy jeune martyre d’Agen dont les reliques ont été dérobées par des moines de Conques, etc. Mais l’origine de ces saints est souvent très lointaine : aux espagnols (Vincent le patron des vignerons, les soeurs Juste et Rufine de Séville qui auraient été déchirées par des griffes de fer) s’ajoutent des personnages venus de tout le bassin méditerranéen : Cyr (ou Cirice) et sa mère Julitte ont été martyrisés pour défendre leur nouvelle foi chrétienne à Tarse en Turquie actuelle. Il y a des textes extrêmement rares, voire uniques, comme celui concernant saint Vamnès issu de Perse. On ne peut pas toujours expliquer par quelles voies les textes- modèles sont arrivés pour y être regroupés à Moissac mais on peut constater que le réseau des échanges dans le haut Moyen Âge était dense et actif. C’est peut-être ce dont témoigne le mieux le « légendier » moissagais.

Le légendier est orné de lettrines réalisées entre 1020 et 1030 par différents moines enlumineurs. Ce type de décor plébiscité dans les manuscrits de l’époque romane consiste à mettre en valeur par la couleur et différents motifs la première lettre du premier mot commençant le chapitre. Les enlumineurs ayant œuvré sur ce manuscrit ont utilisé, chacun selon leur propre style, le motif de la palmette aquitaine : un rinceau de feuillage blanc s’épanouissant en diverses folioles sur un fond coloré.

 

Référence :
« Le légendier de Moissac et la culture hagiographique méridionale autour de l’An Mil »
Edition : Brépols, 580 pages
En vente à la boutique de l’Abbaye